Droit comparé 1bis, cartographie et circulations

La théorie des familles de droit

Dès les origines de la science du droit comparé, traditionnellement liées (avec quelque exagération pour un Congrès très franco-français où les représentants des pays étrangers étaient relativement peu nombreux) au Congrès tenu à Paris en 1900 lors de l’Exposition universelle, Adhémar Esmein propose une classification des "législations ou coutumes de différents peuples" en un "petit nombre de familles et de groupes dont chacun représente un système de droit original". Cette proposition, sans doute influencée par les thèses de Tarde sur la loi d’imitation, débouche sur une première classification. Esmein propose cinq familles, quatre "en s’en tenant à la civilisation occidentale" (le groupe latin, le groupe germanique, le groupe anglo-saxon, le groupe slave) et (avec quelques précautions introduites par un "peut-être") le droit musulman (que Esmein relie expressément aux colonies des nations européennes, accréditant ainsi l’idée que le "droit musulman" est une projection européenne sur la normativité musulmane"). Ce texte "Le droit comparé et l’enseignement du droit" est reproduit dans la Nouvelle Revue historique de droit français et étranger 1900, p. 489-499, sur Gallica, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k158357/f500.item.zoom. La théorie du droit s’appuie sur une conception séparant et hiérarchisant les races chez le comparatiste suisse (professeur de droit comparé à l’Université de Neuchâtel) Sauser-Hall (1913) opposant les droits des Aryens, des Sémites, des Mongols et des peuples barbares (Africains et Mélanésiens). Le manuel de Konrad Zweigert et Hein Kötz, An Introduction to Comparative Law (Oxford, Clarendon Press, 3e éd., 1998, traduction en anglais par Tony Weir de cet ouvrage classique en allemand, Einführung in die Rechtsvergleichung auf dem Gebiete des Privatrechts, 1984 donne un premier aperçu des différentes propositions relatives à la classification des familles de droit (7 familles de droit de Arminjon et Wolff en 1951, française, germanique, scandinave, anglaise, russe, islamique et hindoue ; 6 familles de droit de René David, 1982, romano-germanique, common law, socialiste, musulmane, hindoue et chinoise).

Une présentation plus à jour tenant compte notamment des travaux de

Ugo Mattei ("Three patterns of law", American Journal of Comparative law 1997, p. 5-44, works.bepress.com/ugo_mattei/19/),

Rafael La Porta, Florencio Lopez-de-Silanes, Andrei Schleifer, Robert Vishny, "Law and Finance", Journal of Political Economy 1998, p. 1113-1155, faculty.som.yale.edu/zhiwuchen/.../LawAndFinance.

de Peter de Cruz, Comparative Law in a changing World, London, 2007, et de Patrick Glenn, Legal Traditions in the World, Oxford, 2010, https://books.google.fr/books?id=_4hgAwAAQBAJ&printsec=frontcover&

de Patrick Glenn, Legal Traditions of the World

dans l’ouvrage récent de

Mathias Siems, Comparative Law, Cambridge, 2014.

Dans cet ouvrage (p. 72-94), Mathias Siems présente la question "Mapping the world’s legal system" : la classification en familles de droit se justifierait par des considérations pédagogiques (’a loose conglomeration of data’, ’a rough and ready service’, p. 73) mais aussi par des considérations scientifiques, à titre d’hypothèse pour expliquer des liens et des circulations entre les droits (p. 74, le lien est ainsi établi avec les ’legal transplants’). P

our réponde aux critiques (mettant en avant des classifications dépassées liées à l’histoire coloniale, ne prenant en compte que la législation ou la jurisprudence, sans prendre en considération la doctrine et les "cultures juridiques", Hein Kötz, "Abschied von der Rechtskreislehre ?", ZEuP 1998, p. 495-505 ; Mark Van Hoecke, Mark Warrington, "Legal Cultures, Legal Paradigms and Legal Doctrine : towards a new model for Comparative Law", International and Comparative Law Quarterly 1998, p. 494-516), Mathias Siems propose de tirer les conclusions des évolutions récentes par exemple du droit chinois (qui s’est "occidentalisé"), des perspectives régionales de rapprochement des droits en Afrique ou en Amérique latine, du développement des systèmes mixtes) et de la variété des sujets abordés (procédure, droit public et pas seulement droit privé). Pour une carte sur internet qui conserve les familles classiques : civil law / common law / Muslim law / customary law / mixed systems, la carte de la faculté de droit d’Ottawa :www.juriglobe.ca/fra/index.php

Legal transplants et circulations juridiques

L’ouvrage de Mathias Siems présente aussi un résumé des positions sur la questions des ’legal transplants’ (p. 191 et s.). Alan Watson, Legal Transplants. An Approach to Comparative Law, 1974 et 1993 a présenté une version positive des ’legal transplants’ : la circulation des règles juridiques (rules) serait le principal moteur de l’histoire du droit et consisterait dans des transferts massifs de normes de pays exportateurs vers des pays importateurs. Pierre Legand, "The Impossibility of Legal Transplants", Maastricht Journal of Comparative and European Law 1997, p. 111-124 a violemment critiqué cette conception en niant la possibilité que des règles migrent d’un ordre juridique à un autre, les normes juridiques étant selon lui de significations (meanings) intégrés dans une langue et dans une culture juridique. Si les normes d’un ordre juridique peuvent avoir été influencées par des idées venues de l’étranger, le prétendu transplant conduit à la création d’une norme entièrement nouvelle. Une vue plus nuancée sur l’influence des modèles étrangers et les résultats des transplants (qui ne réduisent pas à l’alternative échec / réussite) dans Gunther Teubner, "Legal Irritants : Good Faith in British Law or How to Unifying Law ends in new Divergences", Modern Law Review, 1998, p. 11-32.

Entre les positions extrêmes, Mathias Siems s’appuie sur les travaux de William Twining : - Globalization and Legal Theory, Cambridge, 2000, p. 136 et s ; (Chapter 6 Mapping law, sentiment d’insatisfaction par rapport à une cartographie regroupant les droits étatiques en familles, p. 149, plus positif sur un atlas historique en 151, pour la prise en considération aussi du ranking) - "Diffusion of Law : A Global Perspective", Journal of Legal Pluralism, 2004, p. 1-35 (conteste le schéma classique d’une circulation de règles entre pays exportateurs et pays importateurs, critique l’idée de cartographie, mais envisage des évaluations de la circulation des règles et concepts dans des domaines spécialisés p. 30 sans s’en tenir à une discussion à un niveau trop général). Dans les fichiers téléchargés, quelques exemples de cartes proposées : - sur les systèmes fédéraux - sur les cours constitutionnelles - sur les statuts personnels